HENRY-LOUIS 1911-2002

Avec mes mots et mes souvenirs, je vais essayer de vous parler de mon Papa.

Henry est né le 10 août 1911 par une chaleur accablante. Il est le premier garçon de Renée et Gaston-L mais pas l’ainé, puisqu’Andrée sa grande sœur a 4 ans ….et pas le dernier puisque naitront après trois filles et deux garçons !

Faire-part de naissance de Henry-Louis

Le berceau de la famille est à Asnières : l’usine, la maison de George et Joséphine - ses grands parents - et la maison de Gaston et Renée, le tout communiquant par un grand jardin.

Henry y habitera jusqu’à son mariage en 1935.
Henry a fait ses études au Cours Saint Louis à Paris, dans le huitième (moi aussi ….) mais en 1928 à l’âge de 17 ans, Gaston et George décident de lui faire intégrer l’usine comme apprenti. Il passera à tous les postes de fabrication d’un bagage rigide, il apprendra la fabrication d’une valise ou d’une malle de A à Z.

Henry-Louis et  Georges-L Vuitton

Henry a 12 ans avec sa chienne Stella

George le trouvant particulièrement assidu, il décide de le récompenser .. George doit se rendre aux USA et au Canada pour un voyage d’observations. George à 71 ans Henry 19 ans en 1929 ils embarquent tous les deux au Havre sur le paquebot Ile de France direction NY !!! Papa nous parlera souvent de ce voyage avec son grand père tant aimé, ils sont complices ! George est un visionnaire, … il pense déjà « exportation « .`

Georges Vuitton avec une malle Fleurs

En rentrant, George est à l’usine, il s’occupe de la fabrication et de toutes les commandes spéciales pour les grands de ce monde. Gaston L , lui est au magasin 70 avenue des Champs Elysées etHenry travaille auprès de lui, en tant que responsable du Service Commercial jusqu’en 1945. Au premier étage du magasin Renée dirige un luxueux Salon de Jouets (salon dont je reparle plus tard).

Carte de visite de Henry-Louis Vuitton avant son mariage, ainsi que sa  photo à la même période

L’immeuble du 70, Vuitton’s building est l’œuvre de George , splendide façade classée. Particularité sur la façade au ras du trottoir il y a un dog’sbar, une sorte de bénitier avec de l’eau pour les chiens qui ont soif !!!! décidément George pense à tout ….
En 1931 et 1932 Henry L. fait son service militaire. (13ème régiment de dragon du 15/02/31 au 15/10/32)
Autre anecdote que j’ai toujours entendu à la maison, en 1934, une « grande dame » entre dans le magasin et demande à rencontrer Monsieur Vuitton. C’est Henry qu’elle va rencontrer !
Elle désire passer une commande très importante de bagages rigides en peau de crocodile blanc ….. Henry prouve à Gaston qu’il est à la hauteur de son rôle. George, fier de son petit-fils, l’envoie en Grande Bretagne, seul, pour choisir et négocier 60 peaux de crocodile ….

En 1935 Papa se marie avec Josette Rateau et habitent au 70 Champs Elysées, dans le Vuitton’s building avec le magasin sur l’avenue et au huitième et dernier étage sous les toits La Soupente. De cette union naîtront trois enfants : Colette en 1936, Philippe Louis en 1937 (qui hélas décèdera en janvier 1947) et Danièle en 1943 .

Faire-part de mariage

Hélas en 1936, George meurt , il a presque 80 ans ….. et Henry perd son grand père tant aimé et respecté, un homme bon, doux, sensible et apprécié de tous ; c’est ainsi que Papa nous a toujours parlé de lui.

Papa a 32 ans, quand je viens au monde à La Soupente.

De 1939 à 1945 c’est la guerre, Henry L est engagé volontaire.

En 1945 , Gaston L le nomme Directeur Commercial du Magasin . Papa travaille beaucoup, je ne l’ai jamais vu en vacances … parfois en septembre pour un WE, il nous retrouve pour la chasse en Sologne dans une propriété familiale, où je suis en vacances, puisque la rentrée scolaire est début octobre.

Dans les années 1950, l’ambiance des Champs Elysées change ! ce n’est plus l’avenue du luxe mais du tourisme …. Alors Gaston L cherche une nouvelle adresse prestigieuse.

En 1954 bye bye les Champs Elysées…. bonjour le 78 bis avenue Marceau. Une adresse plus élégante pour la clientèle qui n’aime plus l’ambiance des Champs Elysées.
Papa me permet de participer au déménagement ! et du haut de mes 11 ans, je me faufile au milieu des cartons et dans les camions ! Je découvre à ce moment qu’Henry est appelé par tous les employés aussi bien du magasin, que de l’usine ou que des fournisseurs, Monsieur Henry ! c’est drôle ce nom !!!

Henry L est heureux dans ce nouveau magasin, moderne, clair et spacieux où il installe son bureau « ouvert » pour tout observer et écouter ! la surface était immense ronde surmontée d’une verrière ! Gaston L lui a son bureau à l’entrée plus en retrait, bureau qu’Henry occupera plus tard dans les années 1965.

Gaston Vuitton

Renée installe au premier étage ses trains électriques, ses soldats de plomb, ses jouets extraordinaires et ses peluches douces et démesurées…. Elle avait un tout petit bureau à côté de l’escalier pour pouvoir voir puisqu’elle n’entendait pas …. Tout petit bureau en bois fabriqué à l’usine d’Asnières et que j’ai conservé !. En effet Renée est sourde profonde depuis la mort de sa dernière fille disparue à l’âge de quatre ans en 1929 … et Gaston L pensait qu’elle serait moins mélancolique .
en lui offrant une façon de s’évader .

Quelle aubaine pour moi ce salon, un paradis pour les yeux des enfants sages… Tout me faisait réver (sauf les soldats de plomb…) mais les poupées, les peluches, et en particulier une épicerie !avec tous ses petits tiroirs et ses échantillons je pouvais jouer à la marchande !!! blanche avec ses tiroirs rouges !!!

L’année 1959 est un tournant pour Henry L. En effet Louis Vuitton fabriquait jusqu’à maintenant des bagages rigides dans sa célèbre toile LV ou des bagages souples en cuir. Impossible de
fabriquer en toile LV des sacs souples, on ne pouvait fabriquer les bagages souples, comme le Speedy, le Keep all, ou le Noé qu’en toile marron . Un nouveau procédé est mis au point et la toile souple LV voit le jour … Henry L suggère alors à Gaston d’étendre la fabrication aux sacs de voyage,
aux sacs à main et à la petite maroquinerie….. Gaston L donne son autorisation.

C’est à partir de cette année-là qu’Henry L devient créateur….. il passe son temps à dessiner, à concevoir des prototypes, fabriquer des maquettes, il crée entre 25 et 30 modèles par an ! Naissent les modèles cultes comme les Speedy et Keep All, les sacs à main, et la collection de petite maroquinerie.
Il crée certains sacs qui perdurent encore aujourd’hui : le bi-face, le sac besace, le chantilly, le papillon, une pochette homme à double poches (dont j’ai le premier exemplaire). Il crée aussi des objets de petite maroquinerie (porte feuilles, porte monnaie, porte documents, porte passeports, porte papiers, etc..)
Je vois Papa heureux, car pour Gaston il est toujours resté « l’apprenti » et n’avait jamais grandi, et maintenant Gaston le regarde comme un homme (il est temps, Papa va avoir 50 ans)…..

Papa est aussi créateur de slogans ! En effet pour Louis Vuitton il dépose le slogan : Voguez Volez Voyagez avec des bagages Vuitton.

Pour la Chambre Syndicale des Fabricants d’Articles de Voyage dont il sera Président de 1963 à 1977 il invente « Vos bagages vous classent « et « Pensant cadeau, pensant voyage, pensez bagage «.

Les années passent et la marque Louis Vuitton se développe à la vitesse d’un cheval au galop. Ce n’est plus seulement l’image des malles faites sur mesure pour des grands de ce monde ou les « people » mais une marque de luxe accessible.

Papa garde ses fonctions de Directeur Commercial jusqu’en 1977, Il a donc travaillé pratiquement 50 ans dans la société. C’est alors qu’il passe les rènes à son beau-frère Henry Racamier qui développe un réseau de boutiques en nom propre en France et à l’étranger et donne à la marque une notoriété internationale.
Papa ira travailler dans son bureau, avenue Marceau, jusqu’en 1990 environ. J’allais le voir dans ce bureau occupé avant par Gaston. Très impressionnant ce bureau : les bustes de George et Gaston en bronze, les murs tapissés de façades de malles très anciennes cloutées par exemple, cela changeait du bureau dans le magasin au milieu des vendeuses !

Henry Louis Vuitton et Odile Racamier 

Arrivera l’époque où les magasins à l’étranger poussent comme des champignons, nous sommes dans les années 1977. Papa et Maman vont être les ambassadeurs de la marque pour chaque inauguration. Le premier magasin à Tokyo (78) , New York (81) , Madrid, Hawaï, Hong Kong, Genève, Londres, Berlin,
Munich, Monaco ou Rome ….

Alors j’assiste au choix des tenues de Maman, je me souviens aussi de Papa avec ses smokings noirs ou blancs ! Ils étaient magnifiques, un couple élégant, très élégant. Après je me régalais en regardant les coupures de presse étrangères, les photos officielles … Je suis si contente
pour eux. Ils garderont le goût des voyages privés organisés en tout petit comité qui les emmèneront dans des endroits peu connus du public…..
Quelques souvenirs en vrac !

Dans les années 1967 la naissance du cuir épi et sa première gamme de couleurs . Papa un soir rentre à la maison avec les premiers échantillons de cette nouveauté ! un bleu vif, un rouge, un jaune vif et un vert gazon … J’avais le droit, pour Noël, de choisir une couleur pour un Speedy !
« OUI Papa, un vert !!! » je ne l’ai jamais porté tellement c’était voyant ….

Le 24 février 1961 : L’inauguration d’Orly aérogare sud. Maman est souffrante ! Que faire ??? Papa me dit " et si tu venais avec moi ? " OUPS Je mets ma plus jolie robe pour accompagner Papa,  "mon Papa". Soirée où je croise personnalités politiques, du monde des affaires, des médias, du show-bizz, c’est magique, car à chaque rencontre Papa dit « je vous présente ma fille »

Le 27 novembre 1977 : Vol inaugural Paris NY en 3h 30…. Louis Vuitton avait fabriqué un porte documents frappé en lettres dorées CONCORDE et Papa et Maman étaient invités à bord ! Papa a tellement été sidéré par ce voyage qu’il offrira à son gendre (mon mari) un aller pour NY à bord de Concorde .

Enfin les années 90 verront l’arrivée de Bernard Arnault ! Tristes années où Papa devra quitter son bureau en deux jours …… La famille a perdu la bataille...

Une marque emblématique reste et quelle belle marque, mais Papa a vu l’histoire d’une famille, de SA famille s’éteindre.

Je viens de faire revivre quelques souvenirs de la vie de « Monsieur Henry », mais Papa avait une vie de famille heureusement, et je veux bien vous livrer d’autres souvenirs plus personnels.
Papa était câlin avec moi « la petite dernière », j’avais le droit de me blottir sur ses genoux, quand il remontait du magasin le soir, vers la Soupente . Mais ne partageant pas de vacances estivales avec mes parents, c’est une partie de mon enfance que je regrette ; j’étais avec une grand-mère un mois à la mer, puis dans la propriété familiale en Sologne, où mes parents ne venaient que pour les fins de semaine.
Elève, étudiante, diplômée puis travaillant, j’habitais toujours à la Soupente … jusqu’à mes 25 ans ! Le 6 juillet 1968 j’ai quitté la Soupente en mariée avec Papa pour aller à l’église, je crois qu’il était encore plus ému que moi ….

Danièle, le jour de son mariage, conduite par son papa.

Tous les week-ends, Papa et Maman partaient en vallée de Chevreuse où nous les retrouvions. C’était le règne de Papou et Mita et leurs sept petits enfants. Chacun d’eux faisait une collection : grenouilles, singes, cochons, canards, tortues, vaches etc … et Papa ne sachant comment faire plaisir, il écumait avec moi toutes les brocantes à la recherche du trésor …… En voyage, il était à peine arrivé dans un pays qu’il cherchait aussi ! Maman préférait les musées ….. Plus il en trouvait, plus il était content ; et le moment du retour et de la distribution était un moment magique.

En tant que grands parents ils étaient géniaux ! pour les 10 ans de chacun de leurs sept petits enfants ils partaient en voyage avec lui ! Quelle belle idée pour créer des liens privilégiés. Et puis quand le dernier a eu 12 ans ils partirent donc à neuf (pas question de nous emmener) à bord du Mermoz faire la croisière des Spitzberg….

En 1999, Papa et Maman deviennent deux fois arrière grands parents comme en 2001. Quel amour partagé avec tous. Ils avaient droit, eux aussi, à des câlins sur les genoux, Papa racontait des histoires et chantait des vieilles mélodies … Ce qu’il nous faisait rire avec ces refrains : une demoiselle sur une balançoire, mademoiselle Angèle qui frappe au numéro un, etc.. Ses arrières petits fils étaient médusés, le regardaient et riaient aux éclats !

Comme nous partagions leur maison appelée CARIOCA (titre d’une chanson née durant leurs fiançailles), mes enfants allaient, le dimanche matin, boire leur biberon dans son lit ! quelle image tendre …. Tous les samedis matin à 10heures précises (très précises, Papa avait une pendule en lui) nous partions tous les deux faire le marché ! moment à nous, pour partager nos petits secrets.

A Carioca, dans le jardin, trônait « la maison de Papou », un petit chalet en bois, qui lui servait d’atelier. Il retrouvait son âme de créateur : il construisait des maisons pour les oiseaux, fabriquait des porte-clefs ou autres babioles, réparait les anses des paniers à provisions ! et tout cela avec des chutes de cuir . Il ne manquait rien, dans la maison de Papou ! une centaine de petits tiroirs avec vis, écrous, clous, rivets, etc… le modèle collé sur le devant du tiroir …

J’avais 59 ans à la mort de Papa, mon Papou… je savais qu’il partirait, mais quelle épreuve. Il s’est laissé partir, à la fin de l’été 2002, il avait 91 ans, sur la pointe des pieds, avec discrétion et dignité, comme il avait vécu toute sa vie..