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« Au Printemps » est un choix de noms quelque peu étonnant pour un grand magasin.

Printemps catalogue p1

  

Si l’on en croit Eric Fotorino, « quelques années plus tôt, sur les boulevards dont Haussmann achevait la percée, une pièce de théâtre s'était taillée un vif succès populaire. Elle s'appelait « Au Printemps ». C'est tout simplement que Jules Jalouzot en fait son enseigne ([1]). » Il est vrai que l’épouse de Jules Jaluzot, Augustine Figeac était actrice de théâtre, sociétaire de la Comédie Française. Cela aurait pu lui inspirer ce choix. Mais il est fort possible que cette  dénomination « Au Printemps » soit simplement liée au slogan choisi par Jules Jaluzot pour attirer sa clientèle : « Tout y est nouveau, frais et joli », comme la saison elle-même.

En contemplant aujourd’hui la façade du « Printemps », il est difficile d’imaginer qu’en 1865 le tout premier magasin ouvert par les deux associés, Jules Jaluzot et Jean-Alfred Duclos, n’occupe que le rez-de-chaussée, le premier étage et les sous-sols d’un bâtiment nouvellement construit sur un carrefour du boulevard Haussmann. C’est Augustine Jaluzot qui l’a fait édifier : au moment de se marier, en 1864, elle disposait d’une fortune considérable pour l’époque. C’est précisément ce qui a permis à son mari, de dix ans plus jeune qu’elle, de se lancer dans l’aventure. Jules Jaluzot avait auparavant fait ses classes dans le commerce, notamment au « Bon Marché ». Il y était entré après s’être rôdé dans d’autres magasins parisiens, à la suite d’études qui semblent avoir été excellentes. Fils de notaire de province, il avait même été admis à Saint-Cyr. Pourtant, sans qu’on connaisse la raison de son choix, il s’était engagé non pas dans la carrière militaire, mais dans le commerce.

L’immeuble qu’avait fait construire Augustine était un immeuble de rapport : un magasin particulièrement visible en rez-de-chaussée, et des appartements à louer dans les étages. Il avait même des écuries, puisque le Printemps livrait sa clientèle riche à domicile. Mais très vite après le démarrage en 1865, l’activité gagne les autres étages et s’étend aux maisons alentours à proportion d’une clientèle et de marchandises sans cesse plus nombreuses. Des ponts métalliques relient ces différents bâtiments et des ascenseurs permettent aux acheteurs – surtout des acheteuses - de passer sans grand effort d’un étage à l’autre. Inventés par J. Jaluzot, les soldes à date fixe, annoncés à grand renfort de publicité, attirent les foules et accroissent la renommée du Printemps.

L’élan est temporairement freiné en 1881. A cause de la maladresse d’un employé, tôt le matin,  des tentures s’enflamment, le bâtiment est détruit. Jules et Augustine Jaluzot habitaient alors dans les lieux, comme d’autres employés, selon l’usage de l’époque. Ils sont sains et saufs, mais Augustine ne se remettra jamais de ce drame et décèdera deux ans plus tard. Elle approchait alors de ses 60 ans.

Jules Jaluzot s’attache aussitôt à faire renaître des cendres un nouveau « Printemps », résolument moderne puisqu’il comprend déjà de l’éclairage électrique, un confort révolutionnaire pour l’époque. L’emprise du bâtiment est telle qu’il constitue une seule grande entité bordée par quatre rues dont le toujours fameux Boulevard Haussmann. J. Jaluzot refait également sa vie privée en épousant une de ses employées, Andrée Dubois. Après s’être marié une première fois avec une épouse de 10 ans plus âgée, cette fois-ci, la mariée est de 20 ans sa cadette.

Au tournant du 20ième siècle, les ventes par correspondance se portent bien, l’export également, des succursales sont ouvertes à l’étranger. La fortune de Jules Jaluzot est considérable, mais il ne se satisfait pas de la gérer « en bon père de famille ». En 1904, il se lance dans des spéculations sur le sucre qui le ruineront. L’affaire est complexe, car elle mêle rivalités internationales, investissements en Egypte, manipulations des cours boursiers, acteurs du marché intervenant en sous-main, etc. Le krach est retentissant, l’un des protagonistes se suicidera même. Pour sa part, Jules Jaluzot doit quitter la direction du Printemps, car il avait puisé de l’argent dans la caisse du magasin pour alimenter ses spéculations personnelles. Ses biens – dont son très bel hôtel particulier – sont saisis et vendus. Jules Jaluzot se retire dans sa ville de naissance, à Corvol l’Orgueilleux, dans la Nièvre. C’est néanmoins à Paris qu’il décède, lors d’une visite à sa fille, au début de l’année 1916. Avant cela, il aura le chagrin de perdre son fils, mort au front dans les premiers mois de la guerre de 14-18.

Auguste Laguionie, qui secondait déjà Jules Jaluzot, devient le nouveau dirigeant du « Printemps » en 1904. Il met immédiatement en œuvre des idées qui accroissent encore la taille du magasin et lui donnent un nouvel élan, avant que son fils lui succède. Ce dernier, prénommé Pierre, devra à son tour reconstruire le Printemps après un autre incendie en 1921.

 

« Au Printemps » en dates

1865     Création des « Grands Magasins du Printemps » par Jules Jaluzot et Jean-Alfred Duclos, au coin du Boulevard Haussmann et de la Rue du Havre. Jean-Alfred Duclos quitte rapidement cette association et J. Jaluzot continuera tout seul

1881     Un incendie ravage en grande partie le bâtiment

1883     Le nouveau bâtiment du Printemps est inauguré

1904     Jules Jaluzot démissionne suite à d’énormes difficultés financières causées par ses spéculations sur le sucre, qui se sont soldées par un krach où il aurait perdu près de 15 millions de francs. C’est Gustave Laguionie qui lui succède à la direction

1910     Un second magasin, l’actuel « Printemps Haussmann », dont la construction a été décidée par G. Laguionie en 1906, est inauguré

1920     Au décès de Gustave Laguionie, c’est son fils Pierre qui lui succède.

1921     Un incendie anéantit une partie du magasin inauguré en 1910. Une reconstruction est aussitôt entamée

1928     Le Printemps commence à s’étendre en province

1931     Le Printemps ouvre une nouvelle chaîne de magasins, « Prisunic », destinée à vendre des produits à petits prix

1972     Le groupe « Printemps » est acquis par Maus Frères, un holding suisse de sociétés commerciales

1991     François Pinault reprend le groupe et le fusionne avec son propre groupe pour créer PPR

                Pinault-Printemps-La redoute

2006     PPR cède le Printemps à un fonds immobilier, RREEF, associé au groupe italien Borletti

2013     DISA, société d’investissement luxembourgeoise détenue par des intérêts privés qataris, rachète le Printemps. Les magasins à l’étranger sont fermés, ainsi que certains magasins en France. Un nouveau PDG, arrivé en 2020, annonce que le Printemps pourrait rouvrir des magasins à l’étranger, à commencer par Doha, au Qatar.

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 « Catalogue saison d’hiver 1888-89 » illustré par Henri Chapu

 

Sur la couverture  du catalogue de l’hiver 1888-89 figure une gravure réalisée par un artiste très célèbre à l’époque,  Henri  Chapu. Elève des Beaux-Arts, lauréat du Prix de Rome, Chapu devient sous la 3ième République l’un des sculpteurs les plus demandés pour les commandes officielles. Ses réalisations ornent de nombreux bâtiments parisiens, comme l’Hôtel de Ville, l’Opéra Garnier, le Palais de Justice, la Gare du Nord etc. et la façade du grand magasin « Au Printemps », Boulevard Haussmann.

 Printemps catalogue p1

A la demande de Jules Jaluzot, propriétaire du Printemps, Henri Chapu sculpte l’allégorie des quatre saisons pour décorer la façade, lors de la reconstruction qui suit l’incendie de 1881. C’est précisément une gravure reprenant la statue de l’Hiver qui orne le catalogue de la saison d’hiver 1888-89. C’est dire la vision que J. Jaluzot avait pour son entreprise.  Reprendre la sculpture sous forme de gravure pour un catalogue diffusé dans tout le pays témoignait de la renommée de son commerce, en passe déjà de devenir quasi une institution.

 Printemps catalogue p1 statue

En 1903/1904, lorsque Jules Jaluzot se voit quasi ruiné suite à des spéculations sur le sucre, ses nombreux biens immobiliers et ses œuvres d’art sont saisis et dispersés aux enchères. En 1905, à l’hôtel Drouot, sont ainsi vendus des tableaux de Courbet et de Jongkind, des meubles, des bronzes, des marbres anciens, des médailles et bon nombre d’ objets qui tous témoignaient de la fortune et du goût pour l’art du fondateur du « Printemps ».

 Catalogue « Au printemps » - saison d’hiver 1888/89

Qui sait encore que les petits garçons, avant de porter des pantalons, portaient d’abord des robes ? Le catalogue en propose quelque unes, et souvent, entre celles pour filles et garçons, seul le prénom attribué au modèle permet de savoir que le vêtement est masculin. Sur les illustrations mêmes, distinguer les deux est difficile, car en plus des robes, les garçonnets gardaient souvent les cheveux longs jusqu’à l’âge de 4 ou 5 ans.

 

Printemps catalogue Garcons

Reflet de son époque, le catalogue présente des vêtements de fillettes dont les formes sont très proches de celles pour les femmes adultes, y compris une « tournure », sorte de demi-crinoline destinée à créer un effet très rebondi au bas du dos. Associé au corset lacé, cet accessoire vise à accentuer la finesse de la taille. Le catalogue précise que ces corsets pour adulte ont de « O,46 m à 0,76 m de largeur de taille » et que toute autre mesure nécessite de les commander !

Printemps catalogue fillettes

 

On propose également à la vente des corsets pour fillette de 10 à 13 ans – il ne s’agit pas là d’un simple sous-vêtement, mais bel et bien d’une forme précoce de contention, puisque le modèle possède un « dos baleiné avec busc », donc déjà rigide. Toute jeune, entre corset et port de la tournure, les filles sont physiquement adaptées à une mode qui reflète les mœurs de l’époque, très contraintes pour la gent féminine. Quant au « corset de baby », il s’agit d’un vêtement quelque peu rigide, qui devait empêcher la colonne vertébrale de se déformer. On le mettait aux bébés dès qu’ils commençaient à s’asseoir. Ces vêtements sont proposés par tous les grands magasins et figurent donc naturellement dans le catalogue des Galeries Lafayette.

–—–—–—Printemps catalogue fillettes corsets

 

[1] Eric Fotorino dans une série de reportages consacrés au commencement des grandes entreprises françaises, parus dans Le Monde entre le 20 juillet et le 5 septembre 1995

 
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